Dans un spectacle-confession joué à Lille, l’ancien ministre de la Justice revient sur ses années au pouvoir avec une verve intacte. Loin d’un simple récit biographique, sa prestation interroge sur les limites de la politique-spectacle.
Hier soir, au théâtre Sébastopol, Éric Dupond-Moretti a présenté « J’ai dit oui », un spectacle hybride, entre stand-up, règlement de comptes et confession publique. Sur fond de théâtre comble et d’attente médiatique, l’ancien garde des Sceaux a déroulé sa version des faits, quatre mois après son départ du gouvernement.

Un dispositif scénique minimal pour un discours maximal
Un fauteuil club, un pupitre et une lumière tamisée : le décor est sobre, presque austère. C’est dans cette mise en scène volontairement dépouillée qu’Éric Dupond-Moretti fait son entrée, salué par une salve d’applaudissements. Dès les premières minutes, l’ancien ténor du barreau donne le ton : « Je ne suis pas là pour faire de la politique ou régler mes comptes. » Une promesse qu’il ne tardera pourtant pas à contourner.
Tour à tour ironique, grave ou amer, Dupond-Moretti déroule un récit personnel de son expérience ministérielle. Loin d’un exposé structuré, son propos s’organise en anecdotes, souvenirs, traits d’esprit et critiques à peine voilées.
« J’ai été loyal. J’ai été attaqué. Mais je suis resté droit. J’ai dit oui, et je ne regrette rien. »
Une mise en scène de soi savamment orchestrée
Le spectacle n’est pas un simple moment de théâtre : c’est une opération de communication parfaitement huilée. L’ancien ministre de la Justice revient sur les moments-clés de son mandat : sa nomination surprise à la Chancellerie en juillet 2020, les tensions immédiates avec certains syndicats de magistrats, sa mise en examen pour prise illégale d’intérêts (dont il a été relaxé en novembre 2023), les critiques des médias, et la difficulté de « faire bouger les lignes » dans un ministère « lourd comme un cargo en mer agitée ».
L’homme de théâtre, formé aux joutes du prétoire, manie les mots avec aisance. Le public rit, applaudit, acquiesce. Mais derrière le verbe, se dessine un récit univoque, à la gloire de sa propre constance. Loin d’un examen de conscience, le spectacle prend la forme d’un monologue d’autolégitimation.
« Si c’était à refaire, je le referais. Je dirais oui à nouveau. À ce moment-là, je croyais qu’on pouvait changer les choses. »
Une parole critique… mais à sens unique
Durant près d’une heure trente, Éric Dupond-Moretti dépeint un monde politique âpre, où les trahisons sont monnaie courante, où les alliances se nouent et se dénouent au gré des circonstances. Il cible, sans les nommer directement, les syndicats de magistrats qui l’ont attaqué dès son arrivée, la « violence médiatique » qui l’a accompagné, et plus généralement un système où « tout le monde parle, mais peu agissent vraiment ».
S’il reconnaît les obstacles, il minimise ses propres responsabilités dans un bilan ministériel en demi-teinte. Car les critiques n’ont pas manqué : réforme de la justice jugée trop timide, rapports tendus avec la magistrature, communication jugée clivante, et promesses non tenues sur les moyens alloués aux juridictions.
« Il est venu avec son verbe haut et ses formules, mais sur le terrain, peu de choses ont changé », confie un magistrat lillois, resté anonyme.
« Il a su incarner le poste, mais sans jamais vraiment le transformer », ajoute-t-il.
Un ministre en représentation permanente
La présence d’Éric Dupond-Moretti sur scène prolonge une posture qu’il a cultivée tout au long de son mandat : celle d’un ministre-comédien, d’un avocat-médiatique, d’un homme en représentation constante. En s’appropriant les codes du théâtre pour parler de sa carrière politique, il renforce une confusion des genres de plus en plus fréquente entre politique et spectacle.
Cette appropriation d’un espace culturel — le théâtre — pour porter un message politique, interroge. Car si le public, conquis, semble au rendez-vous, le contenu, lui, laisse une impression d’entre-soi, de justification, voire d’autocélébration.
« Le théâtre, ce n’est pas la tribune d’un ancien ministre. C’est un lieu d’imaginaire, de création, de débat artistique. Ce qu’il fait, c’est de la communication, pas de l’art », juge une spectatrice, comédienne de profession, à la sortie du spectacle.
Une fin sans ouverture
« J’ai dit oui » s’achève sur une note faussement grave, presque mélancolique. L’ancien ministre imagine pouvoir revenir à l’instant où tout a commencé, le 3 juillet 2020. Un moment décisif, où il accepte — sans condition apparente — d’entrer dans un monde qu’il ne connaissait pas, mais qu’il prétend maintenant mieux comprendre que quiconque.
Pourtant, derrière ce récit linéaire, peu de remise en question. Peu de perspectives nouvelles. Et aucune véritable explication sur ses échecs, ses silences, ou ses décisions contestées. La parole est unilatérale, verrouillée. Ce spectacle n’est ni un bilan, ni une confession. C’est un acte de communication politique, déguisé en performance culturelle.
Une réception contrastée
Malgré une salle comble, la réception du spectacle divise. Si certains y voient un moment sincère et éclairant sur les arcanes du pouvoir, d’autres dénoncent un exercice d’autopromotion mal déguisé. Loin d’apporter une réflexion sur la justice ou la politique, J’ai dit oui devient le reflet d’une époque où les personnalités publiques, après avoir quitté leurs fonctions, cherchent à réécrire l’histoire — en direct, et sur scène.
« Il n’est pas le premier à tenter cette reconversion. Mais ce mélange des genres est problématique. On attend autre chose d’un ancien ministre que des anecdotes sur ses appels à sa mère », commente un universitaire spécialisé en droit public.
Une parole qui clôt plus qu’elle n’ouvre
En définitive, si Éric Dupond-Moretti livre sa vérité, celle-ci semble figée. Ce spectacle, présenté comme une révélation, n’apporte que peu d’éléments nouveaux. Il s’inscrit dans une logique de justification, voire d’auto-glorification, laissant peu de place à une véritable introspection ou à un dialogue avec le public.
Derrière la mise en scène, la tentation de réécrire sa propre légende prend le pas sur le courage de reconnaître les limites d’un exercice ministériel sous haute tension. Et c’est peut-être là que réside la plus grande faiblesse de J’ai dit oui : parler beaucoup, mais pour ne rien remettre en cause.