Le Conseil économique, social et environnemental régional (CESER) des Hauts-de-France est-il menacé de disparition ? C’est une hypothèse qui n’a rien de farfelu depuis que la commission spéciale de l’Assemblée nationale chargée de simplifier la vie économique a voté, le 24 mars dernier, un amendement visant à supprimer cette institution consultative. Une mesure que certains élus et responsables syndicaux n’hésitent pas à qualifier d’attaque frontale contre la démocratie sociale, voire de « dérive trumpiste ».
Demain, les députés se prononceront en séance sur ce texte, et les défenseurs des CESER, à commencer par Laurent Degroote, président de celui des Hauts-de-France, sont sur le pied de guerre.

Une institution peu connue mais influente
Créés en 1982 avec la décentralisation, les CESER sont les équivalents régionaux du CESE national. Leur mission ? Produire des avis consultatifs, des études et des rapports sur des enjeux économiques, sociaux ou environnementaux régionaux. Ils sont obligatoirement consultés sur les orientations budgétaires ou les schémas de développement élaborés par les Conseils régionaux, comme le SRADDET ou les plans de mobilité.
Dans les Hauts-de-France, 170 membres y siègent, issus du monde syndical, patronal, associatif, universitaire, environnemental, ou encore culturel. Tous sont désignés par le préfet sur proposition d’organisations représentatives. L’idée est de faire entendre la voix de la société civile organisée, au-delà des clivages politiques.
« Le CESER, c’est une chambre d’écho de la réalité des territoires. 90 % de la population y est représentée. C’est un lieu de dialogue, de compromis et d’expertise collective », plaide Laurent Degroote, président du CESER Hauts-de-France.
Une attaque jugée idéologique
L’amendement proposé par Ian Brossat, député LR et président de la commission spéciale, entend rationaliser la dépense publique.
« Les CESER coûtent entre 50 et 60 millions d’euros par an. Ils produisent des rapports que les élus ne lisent pas toujours. Ce sont parfois des tremplins pour des élus ou syndicalistes battus, ou des lieux de recasage », justifie-t-il.
Le raisonnement est jugé simpliste, voire populiste, par ceux qui voient dans cette suppression un affaiblissement du contre-pouvoir social et citoyen dans les régions.
« C’est une offensive idéologique. Une forme de dérive trumpiste. On caricature une institution méconnue, pour mieux justifier sa suppression, comme si la démocratie devait être rentable », tacle Vincent Perlot, représentant de la FSU au CESER des Hauts-de-France, qui reverse ses indemnités à son syndicat.
« Si cette mesure était confirmée, elle viendrait affaiblir la démocratie sociale et le dialogue avec la société civile », ont averti dans un communiqué commun plusieurs présidents de Région, dont Xavier Bertrand, Carole Delga, Laurent Wauquiez et Renaud Muselier.
Un coût marginal, une production bien réelle
Les opposants à la suppression insistent sur le coût modeste des CESER : environ 1,2 million d’euros par an en Hauts-de-France, soit 0,03 % du budget régional.
« Ce que l’on nous reproche, c’est d’exister. Mais nos rapports sont utilisés : notre travail sur le canal Seine-Nord a nourri les débats du Conseil régional. Celui sur les drones a mené à la création d’une filière régionale. Nos travaux sur le littoral ont donné naissance au Parlement de la mer », liste Laurent Degroote.
Les membres perçoivent 200 € par réunion (quatre par mois en moyenne), à condition d’être présents, et doivent souvent travailler en amont. Le président, lui, perçoit 2 000 € par an pour un poste à temps plein.
Un fonctionnement à réformer, pas à supprimer ?
Si le CESER est loin d’être parfait, certains de ses membres reconnaissent qu’une réforme serait pertinente : modernisation de ses méthodes, meilleure diffusion de ses travaux, communication renforcée, voire réduction de la taille des assemblées.
« Oui, il y a des choses à améliorer. Mais pourquoi jeter le bébé avec l’eau du bain ? Supprimer les CESER, c’est supprimer une des rares instances où des chefs d’entreprise, des syndicalistes, des jeunes, des militants écologistes ou des chercheurs peuvent travailler ensemble », insiste un membre associatif.
Vers un vote à haut risque
Ce mardi 8 avril, les députés auront à se prononcer sur cette mesure polémique. Le vote sera public. Au CESER, on espère que les députés du bloc central (Renaissance, MoDem, Horizons) ne suivront pas les députés LR et RN qui ont déjà voté l’amendement en commission.
« Je suis confiant, mais on ne peut rien laisser au hasard. Il faut se battre. Il y a un acharnement contre nous », souffle Laurent Degroote, qui dit avoir reçu de nombreux soutiens y compris dans les rangs du gouvernement.
Une crise révélatrice
Derrière cette controverse, une question plus large se dessine : quelle place pour les corps intermédiaires dans une démocratie contemporaine ? À l’heure où les tensions politiques et sociales montent en flèche, la suppression des CESER pourrait être le signal d’un recentrage du pouvoir sur l’exécutif, au détriment des espaces de concertation et de dialogue.
« La démocratie sociale est une digue contre la violence politique. La supprimer, c’est faire le lit de l’autoritarisme », prévient un membre du CESER, qui y voit une alerte républicaine à ne pas sous-estimer.