Incertitude professionnelle pour les salariés de l’organisme public. Une trentaine d’agents ont manifesté leur inquiétude devant le conseil régional, alors que les récentes décisions concernant les formations financées par la Région pourraient entraîner la suppression de près de 150 emplois.

L’AFPA fragilisée par la redistribution des formations régionales
Devant le siège du conseil régional, les pancartes brandies par les salariés de l’AFPA illustraient une inquiétude grandissante : celle d’un démantèlement progressif de leur outil de travail. Créée en 1945, l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes a formé des générations entières de professionnels dans tous les secteurs d’activité. Mais les résultats du récent appel d’offres du plan régional de formation (PRF) pour la période 2025-2028 ont fait l’effet d’un électrochoc.
Selon les syndicats de l’AFPA, l’organisme aurait vu sa part de formations financées par la Région chuter drastiquement. Lors du précédent marché public, les marchés remportés représentaient déjà une baisse significative, à hauteur de 30 millions d’euros. Cette fois-ci, les projections évoquent une enveloppe de seulement 10 millions d’euros. Une réduction de volume qui met en péril de nombreux postes sur les 550 que compte l’AFPA dans la région.
« Nous avons été créés pour reconstruire le pays après-guerre. Aujourd’hui, on nous fragilise sans alternative concrète »,
déplore un représentant syndical présent lors du rassemblement.
Une concurrence accrue du secteur privé
La Région, pour sa part, renvoie la balle vers l’AFPA. Selon les services de la collectivité, l’organisme n’aurait répondu qu’à 30 % des lots proposés dans le cadre du marché public. Parmi ces dossiers, l’AFPA aurait obtenu un taux de référencement de 41 %, ce qui, selon la vice-présidente en charge du dossier, « ne reflète pas une volonté d’écarter l’organisme public ».
« L’AFPA reste un acteur reconnu, mais elle a elle-même fait le choix stratégique de ne pas candidater à de nombreux lots »,
explique Nathalie Drobinoha, élue en charge de la formation professionnelle au conseil régional.
Cette situation met en lumière une tendance plus large : le recours croissant aux opérateurs privés pour assurer les missions de formation initialement dévolues à des organismes publics. En réduisant la commande publique au bénéfice d’offres concurrentielles, la Région assume une stratégie de diversification de ses prestataires, parfois au détriment d’acteurs historiques.
Un repositionnement délicat sur le marché privé
Face à la contraction de la commande publique, la direction de l’AFPA envisage désormais un recentrage vers le secteur privé, en misant sur les entreprises et les individus. Une orientation nouvelle qui suscite cependant des doutes parmi les salariés.
« On ne peut pas passer d’un modèle fondé sur la mission de service public à une logique purement commerciale du jour au lendemain »,
alerte une formatrice basée dans un centre du Pas-de-Calais.
L’adaptation à un modèle de fonctionnement plus concurrentiel pose plusieurs défis : tarification, prospection commerciale, transformation des contenus pédagogiques. Autant de mutations profondes pour une institution historiquement ancrée dans un cadre public.
Un réseau en tension dans plusieurs régions
La situation observée dans les Hauts-de-France n’est pas isolée. Dans d’autres régions, l’AFPA a déjà dû réduire la voilure, parfois en fermant des centres ou en restructurant ses équipes. La tendance à la baisse de la commande publique fragilise un modèle qui reposait jusqu’ici largement sur le financement par les Régions.
Selon les chiffres internes, l’AFPA formait près de 100 000 personnes chaque année à l’échelle nationale. La perte de marchés dans plusieurs territoires pourrait affecter à terme la capacité d’accueil et de formation, notamment pour les publics éloignés de l’emploi.
« L’AFPA joue un rôle essentiel dans la réinsertion des chômeurs de longue durée. La réduire, c’est aussi remettre en cause une mission sociale »,
estime un représentant du personnel à Douai.
Une institution en quête de stabilité
Depuis plusieurs années, l’AFPA est engagée dans une transformation de son modèle économique. Déficitaire, confrontée à des plans sociaux successifs, l’agence a vu ses effectifs diminuer et ses missions se recentrer. En 2018, l’État avait déjà dû intervenir pour éviter la cessation de paiement. Depuis, le redressement reste fragile.
Les tensions autour de l’attribution du PRF 2025-2028 révèlent une nouvelle étape de cette transition incertaine. Pour les salariés, c’est un sentiment d’incompréhension qui domine. Ils craignent que l’agence, faute d’un soutien politique clair, perde progressivement sa raison d’être.
« Ce n’est pas seulement une question d’emploi. C’est toute une vision de la formation et de l’insertion qui est en jeu »,
affirme une déléguée syndicale.
Vers un dialogue relancé entre Région et AFPA ?
À l’issue de la mobilisation, une délégation de représentants syndicaux a été reçue par les services de la Région. Si aucune annonce concrète n’a été faite à l’issue de cette rencontre, les discussions doivent se poursuivre dans les prochaines semaines.
Les syndicats réclament un réexamen de certains lots non attribués, ou à défaut, la mise en place d’un fonds de soutien transitoire pour accompagner les personnels impactés. De leur côté, les élus régionaux affirment vouloir maintenir un dialogue ouvert mais n’entendent pas revenir sur les principes de mise en concurrence définis dans le marché.
Une vigilance syndicale maintenue
La mobilisation des salariés ne devrait pas s’arrêter là. D’autres actions sont envisagées dans les prochaines semaines, à mesure que les impacts concrets du plan 2025-2028 se préciseront dans les centres de formation.
En toile de fond, la mobilisation interroge sur la place des organismes publics dans un paysage de la formation professionnelle de plus en plus libéralisé. L’AFPA, en se réorientant, tente de s’adapter à cette nouvelle donne. Mais ses salariés, eux, s’interrogent : à quel prix ?