Une pierre tombale anonyme éveille les souvenirs d’une fratrie incomplète. Grâce à une initiative de sauvegarde du patrimoine funéraire, une histoire familiale refait surface après plus de cent ans de silence.

Un secret de famille longtemps enfoui
Le hasard, parfois, se mêle à la mémoire. C’est ce qui est arrivé à Marie-Claire Lejeune, 94 ans, lorsqu’elle a appris qu’un frère, mort-né en 1922, reposait depuis toujours dans le cimetière du Centre à Wasquehal, sans que personne ne le sache. La vieille dame, qui n’avait jamais connu ce frère ni vu trace de son existence, a été stupéfaite par cette révélation.
« Je savais que j’avais eu un frère mort-né mais rien de plus. Quand j’ai récupéré le livret de famille de ma mère, il n’y avait aucune mention de son existence. Je l’ai toujours imaginé comme un grand frère protecteur… »
Un fragment d’histoire familiale effacé par le temps, retrouvé presque par accident. Sur une modeste pierre tombale, un nom, « Lejeune », gravé à peine lisible, et une date : 28 août 1922. Aucun prénom. Aucun ornement. Une trace discrète, presque anonyme, d’un enfant que personne ne semblait avoir pleuré publiquement.
Une histoire révélée par la sauvegarde du patrimoine funéraire
C’est dans le cadre du projet « Sauvegarde des tombes » que cette découverte a été faite. Porté par des bénévoles passionnés d’histoire locale et de généalogie, ce programme vise à identifier les sépultures abandonnées ou anonymes, afin d’en retrouver les descendants.
Julien Massa, membre actif de la plateforme Geneanet, arpente régulièrement les allées du cimetière du Centre. Lors d’une de ses visites, il remarque la stèle usée portant le nom Lejeune. Intrigué, il remonte les archives, les arbres généalogiques, croise les données administratives et numériques. Une enquête patiente débute.
« J’ai cherché Léon Max Sylvain Lejeune sur Geneanet. J’ai vu son arbre et j’ai trouvé l’existence de Philippe Busch, le petit-fils… J’ai demandé si sa mère et sa tante (Marie-Claire) étaient bien les filles de Max Sylvain Lejeune. »
Le lien est confirmé. Un enfant, né sans vie en 1922, avait bien été le premier-né du couple Jeannette et Léon Max Sylvain Lejeune. Jamais déclaré à l’état civil, jamais mentionné dans le livret de famille. Mais une tombe existe bel et bien. La mémoire n’a pas totalement disparu.
Le poids du silence familial
Ce décès à la naissance, intervenu en 1922 dans une maison familiale, avait laissé une empreinte invisible sur la lignée. Jeannette, jeune épouse à l’époque, aurait accouché dans la cuisine du domicile conjugal. Un drame domestique, intime, que la douleur ou la honte aurait pu pousser au silence. Il faudra attendre une dizaine d’années avant qu’elle ne donne naissance à deux filles : Marie-Claire, en 1930, et Sylvie, née en 1932.
« Cette découverte m’a rappelé ces moments où nos parents nous racontaient le passé… En l’occurrence, ce ne fut pas un souvenir heureux pour ma grand-mère Jeannette », confie Philippe Busch, 69 ans, petit-fils de Jeannette, aujourd’hui installé dans le Var.
« Je ne connaissais pas l’existence de cet enfant. Ce souvenir est douloureux car ma grand-mère, même si elle a survécu, a mis très longtemps avant de pouvoir avoir de nouveaux enfants. »
Cette révélation, même tardive, permet à la famille de reconstituer un pan oublié de son histoire. D’ajouter une case manquante à l’arbre généalogique, de reconnaître un lien jusqu’ici effacé.
Une sépulture préservée et un prénom retrouvé
L’inquiétude de Marie-Claire, aujourd’hui âgée, s’est rapidement portée sur le devenir de la tombe. La municipalité de Wasquehal a tenu à rassurer : les concessions du cimetière du Centre, situé dans le quartier des Boers et ouvert en 1878, sont perpétuelles. Elles ne font pas l’objet de reprises.
La stèle, bien qu’endommagée par les années, ne sera donc pas détruite. Elle continuera à porter la mémoire silencieuse d’un enfant dont le prénom n’avait jamais été prononcé.
« Pas de prénom sur la stèle mais avec l’accord de Marie-Claire Lejeune, Jean-Pierre a été ajouté sur les documents administratifs », précise Julien Massa.
« Cet enfant retrouve deux sœurs et un prénom. »
Une manière de rendre justice, symboliquement, à une vie à peine commencée, jamais reconnue officiellement, mais désormais réintégrée dans l’histoire familiale.
Une mémoire familiale réhabilitée
Cette histoire singulière met en lumière la complexité de la mémoire familiale et les conséquences durables des non-dits. Elle rappelle aussi l’importance des initiatives citoyennes autour du patrimoine funéraire, trop souvent relégué à l’oubli.
Les tombes, même anonymes, racontent parfois davantage que les archives écrites. Elles sont autant de témoins silencieux des vies passées, et des douleurs tues. À Wasquehal, une simple dalle de pierre aura permis de réécrire, même tardivement, une page de la saga Lejeune.
La famille a désormais la possibilité de se recueillir sur une tombe connue, de transmettre à la génération suivante l’histoire de Jean-Pierre, frère aîné resté dans l’ombre pendant plus d’un siècle. Une reconnaissance tardive mais précieuse.
Un siècle d’attente pour une reconnaissance
Si cette découverte bouleverse aujourd’hui les descendants de Léon et Jeannette Lejeune, elle s’inscrit aussi dans un mouvement plus large de redécouverte des histoires individuelles. En redonnant un nom et une identité à un enfant autrefois ignoré des registres officiels, la famille lui rend, symboliquement, sa place dans l’histoire.
Un prénom. Une tombe. Et deux sœurs. C’est ce que Jean-Pierre Lejeune a retrouvé, cent deux ans après sa naissance.