La fermeture de nombreuses aires de repos sur les autoroutes menant à Calais pousse les acteurs du transport routier à se tourner vers des parkings privés, payants et sécurisés. Une réponse pragmatique à des contraintes croissantes, mais aussi un terrain de friction entre acteurs publics et privés.

Un besoin croissant de sécurisation pour les transporteurs
Face à l’augmentation des flux de marchandises et à une pression migratoire persistante dans le Nord, les aires de repos traditionnelles ne suffisent plus à garantir la sécurité des poids lourds et de leurs chauffeurs. Sur les autoroutes A16, A25 et A26, les fermetures partielles ou totales d’aires de service ont bouleversé les habitudes des routiers.
Selon la Fédération nationale des transports routiers (FNTR 59), les conducteurs locaux ont fini par intégrer ces fermetures à leur stratégie de déplacement.
« Pour les entreprises locales, la chose est malheureusement bien entrée dans nos habitudes de fonctionnement. Nos conducteurs ne s’arrêtent plus dans ces zones compliquées », explique Olivier Arrigault, secrétaire général de la FNTR du Nord.
Mais la situation est plus complexe pour les entreprises extérieures, contraintes par les temps de conduite réglementaires. Trouver une aire de repos n’est plus un choix, mais une nécessité urgente.
L’émergence d’un nouveau modèle de stationnement
Dans ce contexte, les parkings poids lourds sécurisés se développent en périphérie des grandes infrastructures routières. Le modèle repose sur des services payants, une surveillance 24h/24, et parfois des équipements complémentaires comme des douches, restaurants ou points de maintenance.
À Saint-Hilaire-Cottes, sur l’autoroute A26, un nouveau parking de 100 places est en cours de construction. Il devrait ouvrir au printemps 2026, à l’initiative du concessionnaire autoroutier SANEF. Ce projet s’inscrit dans un programme plus large d’aménagement du réseau autoroutier français.
« Face à l’augmentation du trafic et à la demande croissante pour des espaces sécurisés, la SANEF réalise un parking sécurisé sur l’aire de service de Saint-Hilaire-Cottes », confirme le gestionnaire.
Concurrence et tensions autour du foncier
Cette dynamique d’expansion n’est pas sans susciter des tensions. À seulement 50 mètres de la même autoroute, Walter Charpentier, dirigeant de TWV Park, dénonce une forme de concurrence déloyale. Son propre site, ouvert en 2019 à Labourse, propose déjà 200 places sécurisées.
« Je suis très en colère et dégoûté par les agissements de la SANEF. On n’a pas le droit d’être signalé par des panneaux sur l’A26 ou à proximité depuis des champs privés. Et aujourd’hui, on est copié », s’insurge-t-il.
TWV Park se dit pénalisé par l’interdiction de publicité sur l’autoroute, pourtant cruciale pour une visibilité efficace. La SANEF, de son côté, affirme avoir simplement appliqué les règles en vigueur, sans litige déclaré.
Un contexte migratoire toujours sensible
Le développement des parkings sécurisés s’explique aussi par la situation spécifique de la région de Calais, marquée depuis des années par les tentatives de passage de migrants vers le Royaume-Uni.
« Ce n’est pas seulement la crise migratoire, mais aussi les vols de carburant ou de marchandises, et la saturation des aires autoroutières classiques, qui motivent cette demande », précise Olivier Arrigault.
À Loon-Plage, près du terminal ferry, le parking DK Trucks Park constitue un exemple emblématique. Créé en 2015 par Thierry Vanlembrouck, ce site offre 590 places dans un espace surveillé en permanence.
« C’est un parking qui marche très bien. Et ce ne sont que des transporteurs internationaux qui viennent ici », souligne le chef d’entreprise dunkerquois.
Il rappelle également les débuts difficiles du site, confronté à des intrusions de migrants. Une problématique désormais maîtrisée grâce à une sécurité renforcée.
Des freins à lever pour un développement plus large
Malgré une demande indéniable, la création de parkings sécurisés reste soumise à plusieurs obstacles : disponibilité du foncier, coûts élevés de construction, lourdeurs administratives, et concurrence entre opérateurs privés et concessionnaires autoroutiers.
« Il en manque une centaine en France. Mais le manque de publicité et les contraintes légales freinent les initiatives privées », déplore Walter Charpentier, qui envisage un recours juridique à l’échelle européenne.
De son côté, SANEF poursuit ses investissements : le projet de Saint-Hilaire-Cottes, estimé à 8,5 millions d’euros hors taxes, n’est qu’un élément d’un plan plus vaste. Le concessionnaire annonce la création de plus de 800 nouvelles places d’ici à 2030 sur son réseau.
Une solution transitoire pour une situation durable
À court terme, les parkings sécurisés apparaissent comme la seule réponse crédible aux enjeux de sécurité et de régulation des temps de conduite. Mais les transporteurs restent prudents.
« La meilleure solution reste de ne pas s’arrêter entre l’entreprise et la zone portuaire ou le parking sécurisé », conclut Olivier Arrigault. « La pression migratoire s’est déplacée avec les small boats, mais sur les routes, les contraintes restent. »
Les autorités préfectorales du Nord et du Pas-de-Calais, sollicitées pour évoquer cette évolution, n’ont pas souhaité répondre à nos demandes. Dans l’intervalle, transporteurs, exploitants de parkings et acteurs publics devront composer avec une réalité de terrain complexe, entre besoins logistiques et impératifs de sécurité.