Alors que la question du financement public reste au cœur des tensions budgétaires, la proposition d’une taxation spécifique des milliardaires divise le monde politique et économique. Entre impératif de justice fiscale et craintes d’atteinte à l’attractivité, le débat ne faiblit pas.

Un débat ravivé entre équité et compétitivité
Adoptée à l’Assemblée nationale en février avant d’être rejetée par le Sénat, la « taxe Zucman » refait surface dans les discussions politiques et économiques. L’idée : imposer les patrimoines supérieurs au milliard d’euros, une mesure qui concernerait environ 1 800 contribuables en France.
Si le centre et la droite se disent prêts à envisager une contribution accrue des très hauts patrimoines, ils ne vont pas jusqu’à soutenir la proposition de l’économiste Gabriel Zucman, professeur à l’École normale supérieure et directeur de l’Observatoire européen de la fiscalité.
La proposition Zucman
Pour l’économiste, la situation actuelle traduit un déséquilibre profond.
« On est actuellement dans un blocage budgétaire et politique, car il y a un refus de s’attaquer sérieusement aux problèmes de la non-taxation des ultra-riches », estime-t-il.
Il suggère un prélèvement annuel de 2 % sur le patrimoine des milliardaires, permettant, selon lui, de dégager entre 15 et 20 milliards d’euros de recettes fiscales par an. Cet argent pourrait être fléché vers l’éducation, l’enseignement supérieur et la recherche.
« Quand on collecte des recettes fiscales dans la justice, ça nous permet de financer ce qui constitue le véritable moteur de la croissance économique et de l’innovation », souligne-t-il.
Les critiques du patronat
Face à cette proposition, les réserves du monde économique sont nombreuses. Dominique Carlac’h, cheffe d’entreprise et membre du conseil exécutif du MEDEF, évoque un risque majeur pour l’attractivité de la France.
« Ce dispositif est anti-attractivité et anti-entreprenariat », prévient-elle.
Selon elle, une telle taxe provoquerait des comportements d’évasion fiscale, avec un manque à gagner estimé à 7 milliards d’euros, tout en pesant sur l’investissement et donc sur l’emploi.
Un contexte budgétaire tendu
Ce débat intervient alors que la note de la France a été récemment dégradée par l’agence de notation Fitch, soulignant la fragilité des finances publiques. Dans ce contexte, toute nouvelle source de recettes fiscales est scrutée avec attention par le gouvernement et les parlementaires.
Le député macroniste Charles Sitzenstuhl reconnaît lui-même que l’idée d’une contribution sur les très hauts patrimoines « fait son chemin ». Mais le consensus reste difficile à trouver, entre la nécessité de financer les services publics et la volonté de ne pas freiner l’investissement privé.
Un principe constitutionnel en jeu
Pour Gabriel Zucman, la question dépasse le simple cadre économique. Il estime qu’il s’agit avant tout de rétablir un principe fondamental de la République : l’égalité devant l’impôt.
« Le principe constitutionnel fondamental d’égalité devant l’impôt est aujourd’hui bafoué par la quasi non taxation des milliardaires », insiste-t-il.
Cette tension entre équité fiscale et compétitivité économique devrait continuer d’animer les débats au Parlement dans les prochains mois, alors que la question du financement des politiques publiques reste une priorité pour l’exécutif.
Et après ?
Si le projet de taxe sur les milliardaires reste pour l’instant bloqué, son inscription dans l’agenda politique illustre un tournant dans les discussions fiscales. L’idée, longtemps marginale, semble désormais trouver un écho plus large, au moins dans le débat public.
La suite dépendra de la capacité du gouvernement à concilier justice fiscale, stabilité budgétaire et attractivité économique. Une équation encore loin d’être résolue.