En 1995, l’OTAN avait déployé 60 000 soldats en Bosnie sous mandat de l’ONU. Une référence historique qui éclaire les débats actuels sur une future force internationale en Ukraine, mais dont les différences de contexte sont majeures.

Le précédent bosnien
La guerre de Bosnie s’était conclue en décembre 1995 avec les accords de Dayton. Dans la foulée, l’OTAN avait lancé l’IFOR (Implementation Force), première mission opérationnelle de gestion de crise de son histoire. Cette force de maintien de la paix comptait 60 000 soldats venus de nombreux pays alliés, placés sous mandat onusien.
Un an plus tard, l’IFOR céda la place à la SFOR (Stabilization Force), plus réduite avec 31 000 militaires, dont le quartier général était installé à Sarajevo. Le commandement terrestre était assuré par le Corps de réaction rapide allié britannique (ARRC).
Ce modèle avait alors marqué une étape majeure dans l’évolution de l’OTAN, capable de projeter une force massive en Europe pour imposer et maintenir la paix.
Une comparaison instructive mais trompeuse
À première vue, l’idée d’une force multinationale en Ukraine rappelle ce précédent. Un quartier général centralisé, des contingents tournants, une répartition par zones : autant d’éléments déjà éprouvés en ex-Yougoslavie.
Mais deux différences majeures apparaissent.
- D’une part, l’IFOR et la SFOR agissaient sous mandat de l’ONU, avec l’appui clair de la communauté internationale.
- D’autre part, le rôle central était tenu par l’OTAN, dont c’était la première grande opération hors de ses frontières.
Dans le cas ukrainien, la Russie, membre permanent du Conseil de sécurité, bloque toute résolution sous chapitre VII. L’ONU est donc hors-jeu, et l’OTAN est jugée trop provocatrice vis-à-vis de Moscou. D’où la création de la « Coalition des volontaires », 32 pays qui tentent de bâtir une alternative ad hoc.
Un défi d’échelle inégalé
La Bosnie-Herzégovine est un pays d’environ 51 000 km². L’Ukraine, elle, s’étend sur plus de 600 000 km², soit près de quinze fois plus. Déployer une force multinationale sur un tel territoire représenterait un défi logistique et militaire sans précédent pour l’Europe contemporaine.
En Bosnie, trois divisions multinationales de 12 000 hommes avaient été déployées, chacune responsable d’une zone. La France dirigeait le secteur de Mostar, avec l’appui d’Italiens et d’Espagnols. À l’échelle ukrainienne, un simple effet de proportion montre qu’il faudrait mobiliser plusieurs centaines de milliers de soldats pour obtenir un maillage comparable.
Le rôle potentiel de la France et de ses alliés
La perspective d’un commandement européen s’inspire elle aussi de l’expérience bosnienne. Le Corps de réaction rapide français (CRR-Fr), basé à Lille et reconnu comme l’un des six états-majors de niveau corps d’armée en Europe, pourrait théoriquement assumer une fonction de commandement similaire à celle exercée en Bosnie par l’ARRC britannique.
La France et le Royaume-Uni se disent d’ailleurs prêts à jouer un rôle moteur dans la constitution de cette force. Les pays baltes et la Finlande sont également volontaires, tandis que d’autres partenaires, comme l’Allemagne ou l’Italie, demeurent plus hésitants.
Une équation diplomatique et militaire complexe
L’expérience bosnienne montre qu’une telle force ne peut exister qu’à la condition d’un accord politique solide et d’un engagement clair des puissances militaires. Or, dans le cas ukrainien, les incertitudes restent nombreuses :
- le rôle exact des États-Unis, que Donald Trump entretient volontairement dans le flou,
- la capacité des Européens à générer et à soutenir un contingent de plusieurs dizaines de milliers d’hommes,
- la question du financement, de la logistique et du renouvellement régulier des troupes.
Si l’ombre de la Bosnie fournit une grille de lecture utile, l’ampleur et la complexité du théâtre ukrainien dépassent largement ce précédent historique.