Une vie entre mémoire personnelle et histoire collective. À 96 ans, Line Renaud a choisi de transmettre à l’État l’ensemble de ses archives personnelles. Photos, lettres, souvenirs de guerre et de scène forment un fonds exceptionnel désormais confié aux Archives nationales.

Une enfance nordiste sous les bombes
C’est dans un petit café du Pont-de-Nieppe, à la frontière d’Armentières, que la mémoire de Line Renaud prend racine. En pleine Seconde Guerre mondiale, la fillette observe les soldats écossais installés dans la région. Elle y apprend ses premières chansons anglaises, entre deux parties de marelle.
Plus de 80 ans après, elle se souvient : « Je suis juste une petite fille du Nord qui jouait à la marelle. Et j’ai commencé, en 1939, à voir arriver les Anglais qui venaient protéger la Belgique. » La guerre s’immisce dans les souvenirs. Sa grand-mère, sa mère et elle écoutaient clandestinement l’appel du général De Gaulle, dissimulées dans une pièce attenante, pendant que des Allemands fréquentaient le café familial.
« J’ai vu ma petite copine morte à côté de moi suite à un bombardement. »
Cette phrase, confiée avec gravité, résume le poids de cette époque dans la construction de la mémoire de Line Renaud. Ces souvenirs de guerre, à la fois intimes et collectifs, sont aujourd’hui consignés aux Archives nationales, offrant un éclairage rare sur le quotidien civil dans le Nord occupé.
Une carrière débutée dans l’après-guerre
À 16 ans, elle quitte Nieppe pour Paris. Un an plus tard, elle monte sur scène à Lille. C’est là que Mistinguett, légende de la chanson française, la repère et lui laisse un autographe que Line Renaud a précieusement conservé. Ce document, parmi tant d’autres, fait désormais partie du fonds public.
Dès 1946, La Voix du Nord s’intéresse à cette jeune chanteuse du cru. En 1953, elle est reçue à l’Élysée par le président Vincent Auriol pour chanter Le P’tit Quinquin, en l’honneur du centenaire de cette chanson emblématique du Nord. Un événement qu’elle n’a jamais oublié.
« Le premier président que j’ai rencontré, c’était Vincent Auriol. Il m’avait invitée à l’Élysée. »
Chaque étape de sa carrière est aujourd’hui documentée par des centaines de lettres, d’articles de presse, de photos, de programmes de spectacles : autant de jalons d’une vie artistique foisonnante.
Une voix pour les oubliés : l’engagement contre le sida
Au-delà de la scène, Line Renaud s’est imposée dans les années 1980 comme une militante pionnière de la lutte contre le sida. Un engagement public courageux, souvent solitaire, qui a profondément marqué l’opinion et influencé la politique de santé publique en France.
« Elizabeth Taylor m’a écrit. Elle me disait que je ne savais pas à quoi je m’attaquais, que j’allais perdre ma popularité. »
Sa réponse fut sans détour : elle ne craignait pas de perdre sa notoriété, car ce combat touchait à la vie de milliers de jeunes. Elle a conservé les lettres reçues à cette époque, notamment celle d’une mère vivant dans le Massif central dont le fils était malade en 1986. Ces témoignages, rares et poignants, constituent aujourd’hui un pan unique de l’histoire sociale française.
Pour Yann Potin, conservateur en chef aux Archives nationales, ce fonds dépasse le cadre biographique :
« La lettre de la mère d’un malade du sida dans le Massif central en 1986, on n’a ça nulle part ailleurs. »
Un fonds d’archives exceptionnel, témoin d’un siècle
Officiellement remis à l’État le 12 mai dernier, ce fonds contient des milliers de pièces. Il a été reçu au ministère de la Culture, en présence de la ministre Rachida Dati et d’amis proches de Line Renaud, comme Muriel Robin et Dany Boon.
« Elle m’a dit : tu as vécu la guerre, subi les bombardements… Il faut que tout cela soit transmis. » Cette invitation de la ministre a été décisive dans la volonté de Line Renaud de confier ses archives à la nation.
« J’ai tout gardé. Cela me vient de ma mère, elle gardait tout. »
Lettres de fans, photographies, enregistrements, programmes de spectacles, documents personnels : cet ensemble forme un miroir inédit de l’évolution culturelle, sociale et politique de la France du XXe siècle. Pour les historiens, c’est une mine.
Une mémoire vivante tournée vers l’avenir
À 96 ans, Line Renaud reste lucide sur la portée de ce geste. En confiant ces documents, elle ne cherche pas l’hommage mais la transmission.
« Ce que je vois dans ces archives, c’est le nombre de souvenirs que les gens peuvent avoir avec moi. »
Son parcours américain, dès 1954, ses tournées, ses engagements humanitaires, mais aussi ses racines profondément ancrées dans le Nord, tout cela compose une vie hors du commun, désormais entrée dans le patrimoine national.
Le geste de Line Renaud va au-delà d’un simple don. Il interroge la manière dont la mémoire individuelle peut contribuer à l’histoire collective. Il montre aussi que l’engagement, la culture populaire et les souvenirs d’une vie ne sont pas des anecdotes, mais des éléments constitutifs de notre société.