La confirmation de la mise en examen du laboratoire Merck et de l’Agence du médicament marque un tournant judiciaire dans l’affaire du Levothyrox. Une décision saluée comme une étape décisive par les malades, près de huit ans après le début du scandale.
Depuis 2017, l’affaire du Levothyrox agite le monde médical et judiciaire. Des milliers de patients affirment avoir subi des effets secondaires après le changement de formule du médicament. Cette semaine, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a confirmé la mise en examen de la filiale française de Merck pour tromperie aggravée, ainsi que celle de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Une étape importante dans une procédure complexe, saluée par les associations de patients comme une première forme de reconnaissance.

Une victoire symbolique pour les malades
« C’est une petite victoire, espérée depuis plus de sept ans », affirme Sylvie Robache, l’une des premières à avoir alerté sur les effets secondaires ressentis après la réforme du Levothyrox. Elle est aujourd’hui une figure du combat judiciaire mené par les patients.
| « Pendant longtemps, on ne nous a pas crus, on a dit qu’on exagérait. Cette mise en examen, c’est une reconnaissance. »
— Sylvie Robache |
En 2017, cette habitante d’Arras, opérée de la thyroïde en 2016, découvre via Internet que la formule de son médicament a changé sans qu’elle en ait été informée. Très vite, elle lance une pétition qui rassemble aujourd’hui plus de 356 000 signatures sur la plateforme mesopinions.com. Elle devient malgré elle une lanceuse d’alerte, sollicitée par les médias, soutenue par l’Association française des malades de la thyroïde.
Une réforme contestée dès ses débuts
Le Levothyrox est prescrit à environ 3 millions de personnes en France souffrant de troubles thyroïdiens. En mars 2017, une nouvelle formule, dite « sans lactose », est mise sur le marché par le laboratoire Merck à la demande de l’ANSM, afin de stabiliser la teneur en principe actif. Rapidement, les signalements d’effets secondaires se multiplient : fatigue, insomnies, maux de tête, perte de cheveux, troubles digestifs.
Dès l’été 2017, l’ANSM reconnaît un « nombre inhabituellement élevé de déclarations », mais défend la nouvelle formule. Des analyses toxicologiques ne révèlent pas de danger particulier. Le ministère de la Santé temporise, tout en demandant à Merck de remettre à disposition l’ancienne formule, rebaptisée Euthyrox, disponible temporairement sous certaines conditions.
Une mise en examen aux implications multiples
La décision de la cour d’appel intervient dans un contexte judiciaire dense. La filiale française de Merck est désormais mise en examen pour tromperie aggravée, tout comme l’ANSM, pour sa gestion de la communication et du suivi du changement de formule. Cette qualification pénale suppose que les autorités ont pu manquer à leur devoir d’information et de vigilance, laissant les patients dans l’ignorance.
| « Ce n’est pas un procès contre le médicament, c’est un procès sur la manière dont les patients ont été informés et suivis. »
— Me Christophe Lèguevaques, avocat de plaignants |
Près de 31 000 patients auraient déclaré des effets secondaires liés à la nouvelle formule entre 2017 et 2018, selon les chiffres officiels. Plusieurs centaines ont déposé plainte. Une instruction est en cours depuis 2018 au pôle santé publique du tribunal judiciaire de Marseille. La décision de la cour d’appel ouvre la voie à un futur procès pénal, dont la date reste à fixer.
Merck conteste et se pourvoit en cassation
Le laboratoire Merck conteste toute faute. Dans un communiqué publié dans la foulée de la décision, le groupe pharmaceutique allemand indique qu’il entend se pourvoir en cassation, estimant que sa communication a été conforme aux exigences légales et réglementaires. Il rappelle que la nouvelle formule est utilisée dans plus de 20 pays sans controverse majeure.
| « Nous réaffirmons que la nouvelle formule du Levothyrox est sûre, conforme, et scientifiquement validée. »
— Communiqué de Merck France |
L’entreprise souligne aussi que le retour temporaire de l’ancienne formule constitue un effort logistique considérable, alors que l’objectif reste la généralisation de la nouvelle version. Cette position suscite l’inquiétude des associations de patients, qui demandent la pérennisation de l’Euthyrox, encore disponible sous conditions, mais renouvelée année après année sans garantie à long terme.
L’Agence du médicament également sous pression
La mise en cause de l’ANSM constitue une nouveauté notable. En tant qu’autorité de contrôle, l’agence avait validé la nouvelle formule et accompagné sa mise sur le marché. Elle avait aussi soutenu la communication de Merck sur les effets de la réforme. La justice cherche désormais à établir si l’agence a failli dans sa mission d’information et de pharmacovigilance.
Une précédente enquête administrative, menée par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), avait pointé en 2018 un « défaut d’anticipation » dans la gestion de la transition, notamment sur l’absence de communication préalable auprès des patients.
Une affaire emblématique des enjeux du médicament
Au-delà du cas du Levothyrox, cette affaire illustre la tension persistante entre logique industrielle, contraintes réglementaires et attentes des patients. Le médicament, bien que scientifiquement validé, n’est jamais un produit neutre : il engage la confiance des usagers, qui doivent être informés de toute modification susceptible de les affecter.
L’affaire a également mis en lumière le rôle crucial des patients dans le débat public sur la santé. Sylvie Robache, comme d’autres, a contribué à mobiliser une parole longtemps ignorée.
| « Ce n’est pas un combat personnel, c’est un combat collectif pour que les patients soient respectés. »
— Sylvie Robache |
La suite de la procédure judiciaire, attendue avec attention, devrait permettre de trancher les responsabilités. Mais les malades, eux, espèrent surtout que cette affaire servira de leçon : l’information, la transparence et l’écoute doivent redevenir des principes fondamentaux dans la politique du médicament.