Les agriculteurs de la FNSEA ont organisé un premier défilé de tracteurs à Arras pour marquer leur retour sur le terrain de la contestation. D’autres actions sont prévues à partir de lundi, notamment sur les autoroutes A25, A1 et A2. Au cœur de leur colère : la réécriture du projet de loi « anti-entraves » jugée trop timorée.

Une mobilisation qui reprend sur fond de désillusion
Les tracteurs ont de nouveau fait leur apparition dans le centre-ville d’Arras hier en fin de journée. Organisée par la FNSEA, principal syndicat agricole français, cette démonstration marque la reprise d’un mouvement de contestation qui pourrait s’amplifier dans les prochains jours. Les agriculteurs dénoncent la tournure prise par le projet de loi sur la simplification des contraintes agricoles, que le gouvernement avait initialement promis à l’issue des fortes mobilisations de l’hiver dernier.
Le texte, voulu à l’origine comme un outil pour « lever les entraves » pesant sur l’activité agricole, a été remanié au fil des mois, notamment sous la pression de plusieurs commissions parlementaires et d’acteurs de la société civile. Résultat : pour les agriculteurs, la loi actuelle n’a plus grand-chose à voir avec les engagements initiaux. Ils y voient un retour en arrière et une forme de renoncement.
« Nous étions venus à Paris en janvier avec un message clair : laissez-nous travailler. On nous avait entendus. Aujourd’hui, ce qui ressort des débats, c’est une trahison », déplore un exploitant céréalier du Pas-de-Calais.
Blocages prévus sur l’A25 dès lundi après-midi
Dans un communiqué diffusé dans la soirée, la FNSEA des Hauts-de-France a annoncé une série d’actions à partir de lundi. Un premier blocage est prévu sur l’A25, au niveau de l’échangeur de Steenvoorde, en Flandre intérieure. Selon les informations recueillies auprès de plusieurs responsables syndicaux, la circulation sera interrompue dans les deux sens par des alignements de tracteurs.
Les modalités de ce blocage, prévu à partir de 14 heures, n’ont pas encore été officiellement validées par les autorités préfectorales. Toutefois, plusieurs élus locaux ont été informés en amont pour anticiper les conséquences sur le trafic.
« Nous ne faisons pas ça pour embêter les gens. C’est un cri d’alerte. Quand on modifie un projet de loi à ce point, c’est qu’on ne comprend pas l’urgence dans nos campagnes », indique un responsable départemental du syndicat.
D’autres actions en préparation sur les grands axes
La mobilisation ne devrait pas se limiter à la seule journée de lundi. Des opérations similaires sont en cours de préparation pour mardi et mercredi, cette fois sur les autoroutes A1 et A2. Les lieux précis des blocages ne sont pas encore connus, mais les syndicats assurent qu’ils viseront des points stratégiques, « sans mettre en danger les usagers ».
En revanche, les autoroutes A16 et A26, pourtant régulièrement empruntées par les poids lourds et les exportateurs agricoles, ne sont pas ciblées à ce stade. Une décision que les organisateurs justifient par la volonté de limiter les perturbations logistiques pour les producteurs eux-mêmes.
Le préfet de région a annoncé un renforcement des dispositifs de sécurité sur les axes concernés et appelle les manifestants à faire preuve de responsabilité. Les discussions avec les représentants syndicaux doivent se poursuivre au cours du week-end.
Une réforme attendue, mais désormais contestée
Le projet de loi aujourd’hui au cœur de la polémique avait été conçu pour répondre à une série de demandes exprimées lors des grandes mobilisations agricoles de l’hiver 2023-2024. Parmi celles-ci : un encadrement plus souple de l’utilisation des produits phytosanitaires, une simplification des procédures environnementales, et une réduction du nombre de contrôles administratifs jugés trop fréquents et parfois incohérents.
À la suite d’une concertation menée entre février et avril, le gouvernement avait présenté une première version du texte saluée par les syndicats. Mais après plusieurs navettes parlementaires, certains articles ont été modifiés, voire supprimés. C’est notamment le cas des dispositions sur les zones de non-traitement (ZNT), qui avaient été âprement négociées avec les associations de protection de l’environnement.
« On ne peut pas construire une loi sur la base d’un consensus, puis la détricoter sous la pression de lobbies opposés. C’est un manque de considération pour notre métier », estime une éleveuse de l’Avesnois.
Une crise plus profonde en toile de fond
Au-delà du texte de loi en question, cette reprise de la mobilisation traduit un malaise plus large dans le monde agricole. La hausse des charges, la volatilité des prix, les exigences croissantes en matière de transition écologique, mais aussi le sentiment d’un éloignement croissant entre les agriculteurs et les décideurs nourrissent une colère persistante.
Selon une enquête publiée récemment par la Mutualité sociale agricole (MSA), près de 70 % des exploitants se disent inquiets pour l’avenir de leur ferme à court ou moyen terme. Un chiffre en nette hausse par rapport à l’année précédente. L’arrivée d’un nouveau préfet dans le Pas-de-Calais a été perçue comme une opportunité par certains syndicats pour rappeler leurs revendications et instaurer un nouveau dialogue.
« Ce n’est pas une fronde politique. Ce que nous voulons, c’est de la cohérence. On ne peut pas nous demander à la fois de produire plus, de polluer moins, et de gagner notre vie sans moyens adaptés », résume un syndicaliste du Nord.
Une semaine à haut risque sur les routes
À quelques semaines du début de la période estivale, la multiplication annoncée des blocages pose la question de leur impact économique et logistique, notamment dans une région fortement connectée aux flux européens. Si les syndicats promettent des actions « ciblées et symboliques », les autorités redoutent des tensions aux abords des zones industrielles et logistiques.
La préfecture, en lien avec les forces de l’ordre et les gestionnaires d’autoroutes, met en place un plan de circulation adapté pour tenter de minimiser les désagréments. Des itinéraires de déviation seront mis en place là où cela est possible, mais les usagers sont d’ores et déjà appelés à anticiper leurs déplacements.
Dans les jours à venir, les regards se tourneront aussi vers le ministère de l’Agriculture, qui pourrait être contraint d’accélérer les négociations. Pour l’heure, aucune rencontre n’est officiellement prévue, mais plusieurs parlementaires de la majorité appellent à un « geste d’apaisement » afin d’éviter une montée des tensions.
« La balle est dans le camp du gouvernement. Ce sont ses promesses qui sont en jeu. Nous, on ne demande que de les voir tenues », conclut un porte-parole de la FNSEA.
La semaine prochaine s’annonce donc cruciale. Entre blocages annoncés, négociations incertaines et méfiance croissante dans les campagnes, le dossier agricole revient au premier plan de l’actualité nationale.