Condamné en son absence à 20 ans de réclusion en 2001 pour sa participation à une attaque armée contre des policiers à Croix en 1996, Seddik Benbahlouli, dernier membre en fuite du gang de Roubaix, comparaîtra de nouveau devant la cour d’assises du Nord en octobre. Son arrestation aux États-Unis l’été dernier marque l’épilogue judiciaire d’un dossier emblématique du banditisme des années 1990.

Une cavale de 27 ans, une arrestation inattendue
Interpellé en août 2023 dans l’Illinois sous une fausse identité, Seddik Benbahlouli, aujourd’hui âgé de 53 ans, circulait depuis plusieurs années aux États-Unis sans attirer l’attention. C’est après un contrôle de l’immigration qu’il a été identifié, à la suite d’une coopération entre les autorités américaines et la police judiciaire de Lille.
Des photographies envoyées par les enquêteurs français ont permis une reconnaissance formelle. Une source policière indiquait alors que l’individu faisait l’objet d’un mandat d’arrêt international depuis plus de deux décennies. Extradé dans les mois suivants, il a été incarcéré dès son retour en France.
« C’était un dossier jamais vraiment refermé. La traque a été lente, mais constante. Son arrestation a surpris jusqu’à ses proches », explique une source judiciaire.
Un procès à rejouer pour cause de défaut
Condamné par contumace en 2001, Benbahlouli n’avait jamais reconnu le jugement, ce qui, juridiquement, impose qu’il soit rejugé. Son procès devant la cour d’assises du Nord se tiendra à Lille à partir du 17 octobre et devrait s’étendre sur une dizaine de jours. Cette nouvelle audience permettra notamment à la défense de s’exprimer, ce qui n’avait pas été possible lors du premier jugement.
Une tentative de faire annuler la procédure pour prescription a été rejetée en début d’année, ouvrant la voie à une reprise complète des débats. L’affaire a fait l’objet d’un supplément d’information pour entendre à nouveau témoins et parties civiles, et réexaminer les éléments à la lumière des nouvelles données disponibles.
La fusillade du parc Barbieux, acte fondateur
Le 27 janvier 1996, la Brigade anticriminalité de Roubaix repère un véhicule volé en stationnement à proximité du parc Barbieux, à Croix. Un second véhicule arrive, transportant cinq hommes lourdement armés. La confrontation tourne rapidement à l’affrontement armé. Les policiers, pris pour cible par des tirs de Kalachnikov, échappent de peu à la mort.
« Ce n’était plus une interpellation, c’était une embuscade, une scène de guerre », témoignait l’un des policiers à l’époque, cité dans un reportage consacré à l’affaire.
Sur les lieux, du sang est retrouvé. L’analyse ADN permettra d’y associer Seddik Benbahlouli. Ce sera l’un des éléments clés du dossier judiciaire instruit dans les mois suivants.
Une série d’attaques revendiquées
À la suite de cette fusillade, plusieurs braquages sont attribués au gang de Roubaix, notamment des attaques de convoyeurs de fonds et de bureaux de poste. Le groupe, composé principalement de jeunes hommes issus de la région lilloise, avait organisé ses opérations de manière quasi militaire, avec une idéologie teintée d’islamisme radical.
L’un des épisodes les plus marquants demeure la pose d’un engin explosif à Lille, désamorcé in extremis, ainsi que le meurtre d’un automobiliste. Le gang est soupçonné d’avoir voulu financer des actions en Bosnie, où plusieurs membres s’étaient rendus pendant la guerre.
L’assaut final et les fuites internationales
Le 29 mars 1996, les forces du RAID lancent l’assaut contre une maison de Roubaix. Quatre membres du gang sont tués dans l’opération. Deux autres parviennent à fuir vers la Belgique. L’un, Christophe Caze, sera abattu quelques heures plus tard lors d’un échange de tirs avec la gendarmerie belge. L’autre, Omar Zemmiri, est arrêté après une prise d’otages.
Par la suite, deux figures du groupe poursuivront leur cavale à l’étranger. Lionel Dumont, ancien militaire converti à l’islam radical, sera arrêté en Bosnie en 1997, avant de s’évader en 1999 et d’être repris en Allemagne en 2003. Condamné à 25 ans en France, il est libéré en 2021. Mouloud Bouguelane, arrêté en même temps que Dumont, a été condamné à 20 ans de réclusion.
Un procès à haute portée symbolique
Le procès attendu en octobre devrait clore judiciairement l’histoire du gang de Roubaix, considéré comme l’un des premiers groupes criminels violents liés à la mouvance islamiste en France. Les débats porteront à la fois sur les faits reprochés à Benbahlouli, mais aussi sur le contexte idéologique, les complicités locales et les failles de l’époque.
L’accusé, jusqu’ici resté silencieux, devra répondre des chefs d’accusation relatifs à la tentative d’homicide volontaire sur agents dépositaires de l’autorité publique. Des témoins de la scène, des policiers, ainsi que des anciens enquêteurs de la PJ devraient être appelés à la barre.
« Ce procès permettra de réentendre les survivants, de comprendre comment un petit groupe a pu agir aussi violemment, aussi longtemps, dans une zone urbaine densément surveillée », confie un magistrat proche du dossier.
Perspectives et mémoires
Près de trente ans après les faits, l’affaire conserve une forte charge émotionnelle pour les acteurs de l’époque, mais aussi pour la population locale, marquée par les scènes de violence inhabituelles dans la région. Le procès, bien que tardif, pourrait permettre de refermer une page sombre du banditisme français, dans un climat sécuritaire et politique aujourd’hui très différent.
Le verdict attendu fin octobre sera scruté, tant par les familles des victimes que par les spécialistes de la criminalité organisée. Pour la justice française, ce sera la dernière étape d’une affaire hors norme, dont les ramifications ont longtemps dépassé le simple cadre local.