Malgré l’appel à une grève d’ampleur lancé par l’intersyndicale CFDT, CGT, CFTC et FO dans les magasins Lidl, les premiers jours du mouvement n’ont pas provoqué de fermeture notable dans le Nord et le Pas-de-Calais. Sur le terrain, les salariés expriment leur épuisement, mais hésitent à cesser le travail.

Des revendications larges, une réponse timide
L’appel à la grève, lancé lundi par une intersyndicale réunissant CFDT, CGT, CFTC et FO, vise à dénoncer la dégradation des conditions de travail dans les enseignes Lidl. Les mots d’ordre sont clairs : protester contre une charge de travail jugée « exponentielle », l’obligation accrue de travailler les dimanches et jours fériés, ainsi qu’une « baisse massive des effectifs ».
Le dispositif prévoit une grève les jeudis, vendredis, samedis et dimanches, sans limitation dans le temps. Pour autant, les enseignes de la région Hauts-de-France, notamment dans le Nord et le Pas-de-Calais, sont restées ouvertes en ce début de mobilisation.
« On n’a pas donné de point de rassemblement. Cela marche par magasin. Si les salariés décident de faire grève, ils ferment. Mais aujourd’hui, vous n’aurez rien. Si ça bouge, ce sera samedi »,
souligne Isabelle, salariée CGT de la plateforme de Sailly-lez-Cambrai.
Ce fonctionnement décentralisé, qui laisse à chaque magasin la liberté de se mobiliser ou non, reflète à la fois une volonté d’adapter le mouvement localement, et une difficulté à fédérer.
Entre épuisement et résignation sur le terrain
Dans les rayons comme dans les entrepôts, le malaise est palpable. À La Chapelle-d’Armentières, Peggy Bridoux, déléguée syndicale CGT, décrit une situation tendue, où la fatigue s’accumule et les arrêts maladie se multiplient.
« Les gens n’ont pas les moyens de faire la grève dès le jeudi. On a déjà fait grève en février. C’est compliqué. Tout le monde en a ras-le-bol. Cela devient impossible. On n’est pas assez nombreux. On part, les magasins sont sales, on n’est pas contents. Physiquement, on est bousillés. Les gens démissionnent »,
explique-t-elle.
Les syndicats insistent sur une réalité du quotidien difficile à concilier avec une grève durable, notamment en raison des bas salaires, du rythme de travail soutenu et du manque de personnel.
Selon plusieurs témoignages, les employés doivent fréquemment assumer les responsabilités de plusieurs postes à la fois, en plus de faire face à des tensions accrues le week-end, période de forte affluence.
Une réponse mesurée de la direction
Face à cette mobilisation, la direction de Lidl a rapidement réagi dans un communiqué transmis à la presse. L’entreprise y minimise l’ampleur du mouvement.
« L’appel à la grève est peu suivi et nos supermarchés demeurent ouverts. »
Concernant les dimanches travaillés, Lidl rappelle que l’ouverture dominicale s’inscrit dans une logique concurrentielle désormais largement répandue dans la grande distribution.
« Le contexte concurrentiel nécessite d’étendre l’ouverture le dimanche qui est une pratique déjà mise en œuvre dans la majorité de nos supermarchés et la plupart des commerces alimentaires en France. »
En ce qui concerne les effectifs, Lidl affirme que le nombre de salariés en équivalent temps plein est resté stable ces dernières années, aussi bien en magasins qu’en entrepôts.
« Concernant les effectifs, le nombre de salariés en équivalent temps plein en supermarchés comme en plateformes est resté stable sur les quatre dernières années. »
Une mobilisation à surveiller dans les jours à venir
Le week-end à venir pourrait être déterminant pour la suite du mouvement. Plusieurs représentants syndicaux évoquent la journée de samedi comme un point de bascule potentiel.
Le mode d’action retenu – une grève éclatée, sur plusieurs jours, à géométrie variable – vise à maintenir une pression continue sur l’enseigne tout en limitant l’impact financier pour les salariés. Mais cette stratégie présente aussi le risque d’un essoufflement rapide si elle ne parvient pas à s’élargir.
Dans un secteur où les marges sont faibles et les cadences élevées, la mobilisation syndicale se heurte souvent à la difficulté d’organiser un mouvement d’ampleur sans créer de déséquilibres internes. Les précédents conflits chez Lidl, en 2017 et plus récemment en 2021, avaient été brefs mais marquants, souvent localisés à certaines plateformes logistiques.
Une tension latente dans un contexte de transformation du secteur
Depuis plusieurs années, Lidl a opéré un repositionnement stratégique en France, passant d’une image de hard-discount à celle d’un acteur « smart discount » valorisant une montée en gamme de ses produits et de ses points de vente. Ce changement s’est accompagné d’un accroissement de la pression sur les équipes, selon les syndicats.
Dans un secteur de la grande distribution en mutation, confronté à la concurrence du commerce en ligne et à l’évolution des habitudes de consommation, la question du travail dominical devient un enjeu central. Le modèle économique de nombreuses enseignes repose désormais sur des plages horaires élargies, notamment le week-end.
Pour les syndicats, cette mutation s’est faite au détriment des conditions de travail. Pour la direction, elle est une nécessité pour préserver la compétitivité. Deux visions inconciliables à court terme.
« On ne veut pas bloquer les clients, on veut juste être entendus. Il faut que Lidl comprenne qu’on ne peut pas continuer comme ça »,
résume une salariée du magasin de Douai, qui préfère garder l’anonymat.
Vers un regain de mobilisation ?
Alors que le mois de mai, marqué par de nombreux jours fériés, est traditionnellement propice aux revendications sociales, les syndicats espèrent capitaliser sur les week-ends prolongés pour remobiliser leurs troupes.
Si le mouvement venait à s’amplifier samedi, il pourrait contraindre la direction à rouvrir des négociations. À défaut, les grévistes pourraient rapidement se retrouver isolés, dans un contexte économique qui rend difficile l’engagement dans un conflit de longue durée.
En attendant, les magasins Lidl du Nord et du Pas-de-Calais continuent de fonctionner normalement, mais sous la menace d’un mécontentement latent, prêt à s’exprimer dès que les conditions le permettront.