Exilée en France depuis 2021, la journaliste et militante des droits de l’homme Mursal Sayas témoigne de la réalité des Afghanes depuis le retour au pouvoir des talibans. Son parcours personnel et professionnel illustre l’ampleur des violences subies par les femmes dans un pays où leurs droits sont systématiquement bafoués.

Une enfance marquée par la guerre
Née en 1995 au Badakhchan, dans le nord de l’Afghanistan, Mursal Sayas n’a pratiquement connu que la guerre. Après l’effondrement du premier régime taliban en 2001, sa famille s’installe à Kaboul. La capitale connaît alors une période fragile de reconstruction politique et sociale. Les filles retournent à l’école, les femmes réintègrent l’espace public.
Malgré ces avancées, la violence reste omniprésente. Attentats, explosions et combats rythment le quotidien. « La normalité, c’était les explosions, la violence », confie-t-elle. Ce contexte forge sa conscience et nourrit son engagement futur.
L’éducation comme première résistance
Encouragée par sa mère, qui avait connu l’interdiction de scolarisation des filles dans les années 1990, Mursal poursuit ses études malgré les pressions sociales. Son père, religieux et traditionnel, accepte qu’elle se consacre à l’instruction, mais refuse toute activité artistique ou sportive.
Cette contradiction reflète les tensions au sein de la société afghane. Les filles sont tolérées à l’école mais doivent se conformer à des règles patriarcales strictes. Le parcours de Mursal en témoigne : journaliste un temps, elle doit abandonner son poste sous la pression de son fiancé, devenu plus tard son mari, qui lui interdit d’apparaître à la télévision.
À la commission des droits de l’homme
En 2017, diplômée en droit, Mursal Sayas rejoint la Commission indépendante des droits de l’homme d’Afghanistan. Elle travaille au département de la protection des droits des femmes.
Chaque jour, elle recueille des témoignages bouleversants.
« Chaque jour, on rencontrait 10, 15, parfois 30 femmes. Des femmes battues, brûlées, violées, y compris par leur père, offertes à travers des mariages arrangés et réduites en esclavage… »
Ces rencontres la transforment. Elle prend conscience de la diversité des violences : conjugales, sexuelles, familiales ou sociales. Pour elle, ce travail agit comme un déclencheur, révélant que ces pratiques, longtemps perçues comme normales, sont des atteintes aux droits fondamentaux.
Le basculement de 2021
L’été 2021 marque un tournant. Avec le retrait des troupes américaines et le retour des talibans au pouvoir, la situation des femmes se dégrade brutalement. La Commission des droits de l’homme est dissoute. Les acquis des vingt dernières années disparaissent.
Mursal Sayas fait partie des personnes menacées. Divorcée, indépendante, engagée dans des combats publics, elle est ciblée par une lettre des talibans qui la désigne comme « anti-musulmane » et « espionne des Américains ».
Contrainte à l’exil, elle quitte Kaboul en août 2021 avec un simple sac à dos, un livre et son ordinateur contenant des archives de témoignages. Ses enfants restent en Afghanistan.
L’exil en France
Accueillie dans un premier temps dans un centre pour réfugiés, elle découvre la complexité et la lenteur des procédures. « Beaucoup pensent que le statut de réfugié est un privilège. Mais ce n’est pas le cas », explique-t-elle, décrivant la précarité des premiers mois.
Peu à peu, elle reprend pied. Installée à Paris, elle poursuit un master en médias, communication et culture à l’Université Paris 8. Elle collabore avec Radio Afghanistan International, crée des podcasts sur les droits des femmes et intervient dans des conférences pour alerter sur la situation de son pays.
Un « apartheid de genre »
Pour Mursal Sayas, la politique des talibans équivaut à une ségrégation systématique.
« Ce qui se passe là-bas est un apartheid de genre. Les femmes sont écartées de l’espace public, n’ont plus accès à la scolarité après la sixième. L’Afghanistan est une prison à ciel ouvert pour elles. »
Depuis 2021, les talibans multiplient les restrictions : interdiction d’université, effacement de la présence féminine dans la vie publique, mariages forcés, violences dans les prisons. Le taux de suicides parmi les femmes ne cesse d’augmenter.
Une communauté internationale jugée défaillante
L’activiste exprime sa déception face à la réponse internationale. La participation des talibans à certaines négociations, notamment à Doha en 2024 ou à Bonn, est vécue comme une reconnaissance implicite de leur pouvoir.
Cependant, elle souligne quelques signes encourageants, comme les poursuites engagées par la Cour pénale internationale contre des responsables du régime. Ces démarches représentent pour elle un espoir que les crimes commis ne restent pas impunis.
Continuer à porter la voix des femmes
Aujourd’hui, Mursal Sayas poursuit son combat depuis la France. Elle milite au sein de l’association Women Beyond Borders, écrit, témoigne et plaide pour que la communauté internationale ne détourne pas le regard.
Malgré le découragement, elle conserve une forme d’espérance. Elle évoque la résilience des femmes restées au pays, mais aussi ses échanges avec son fils, resté en Afghanistan.
« Mon espoir, c’est quand il me dit que ce n’est pas juste qu’il y ait si peu de femmes dans la société. »
Un signe que la nouvelle génération, malgré les entraves, pourrait porter un jour le changement que sa mère continue de défendre en exil.