Ce jeudi matin, c’est une visite peu commune à laquelle ont été conviés quelques journalistes. À Vendin-le-Vieil, dans le Pas-de-Calais, le centre pénitentiaire ultramoderne s’apprête à vivre un tournant historique : devenir, d’ici l’été, le premier établissement en France exclusivement dédié à l’incarcération de détenus liés au crime organisé. Une mutation majeure de cette prison déjà hautement sécurisée, qui accueillera à partir du 31 juillet une centaine de détenus sélectionnés pour leur profil particulièrement sensible.
L’objectif ? « Isoler les têtes de réseau et prévenir les risques de pression, de corruption ou de continuité de commandement depuis l’intérieur des murs », résume Marc Ginguené, le directeur de l’établissement, devant un parterre de journalistes triés sur le volet.

Une prison pensée pour l’hypervigilance
Pour faire face à cette nouvelle population carcérale, souvent liée à des réseaux de narcotrafic, d’extorsion, de blanchiment ou de traite d’êtres humains, la prison a dû revoir entièrement son organisation. Quatre millions d’euros ont été investis pour adapter les infrastructures existantes.
Dès l’entrée, la sécurité est palpable. Un portique à ondes millimétriques, similaire à ceux utilisés dans les aéroports, est en cours d’installation. Objectif : détecter le moindre objet dissimulé sur un visiteur, un agent ou un détenu transféré. Le moindre détail est pensé pour éviter les contacts physiques, les complicités, et les violences.
Les cellules individuelles seront toutes dotées de caillebotis aux fenêtres – une grille conçue pour bloquer les lancers d’objets vers l’extérieur – et les portes seront équipées d’un système de trappe pour menotter à distance. Des « arrêtoirs » supplémentaires protégeront les surveillants des ouvertures brusques de détenus potentiellement agressifs.
Parloirs, promenades, appels : tout sera restreint
Les parloirs classiques laisseront place à des cabines équipées d’hygiaphones, rendant impossible tout contact physique. Des salles de visioconférence supplémentaires sont également prévues afin de limiter les transferts vers les tribunaux, parfois périlleux, souvent coûteux. Le quotidien carcéral sera strictement balisé : seuls deux créneaux hebdomadaires de deux heures seront autorisés pour les appels téléphoniques, écoutables en temps réel par les services de l’administration pénitentiaire.
Même les promenades, moment clé de la vie en détention, seront reconfigurées. Là où 10 à 12 détenus partagent aujourd’hui la cour de promenade, ils ne seront désormais que cinq, triés sur le volet pour éviter les interactions à risque.
Surveillants formés au risque terroriste… et corruptif
Face à ces profils complexes, le personnel pénitentiaire lui aussi est en cours de « montée en vigilance ». « Il ne s’agit pas seulement de renforcer la sécurité physique », explique Sophie Bleuet, directrice interrégionale des services pénitentiaires de Lille. « Il faut former les agents à la détection de comportements suspects, aux signes de manipulation ou de corruption, mais aussi à l’utilisation des réseaux sociaux, parfois instrumentalisés par des détenus pour transmettre des messages codés à l’extérieur. »
Une cellule d’intelligence pénitentiaire sera mobilisée au quotidien pour détecter d’éventuelles tentatives de commandement depuis l’intérieur.
Même le parking du personnel, jugé trop visible, sera bientôt masqué pour limiter les risques de surveillance ou de représailles.
Vers un centre pénitentiaire ultra-spécialisé
Actuellement, 90 détenus sont incarcérés à Vendin-le-Vieil. Des transferts sont en cours, certains vers d’autres établissements, afin de faire place nette avant l’arrivée des 100 détenus « ciblés » pour leur appartenance ou proximité avec des réseaux criminels structurés. Cette sélection est coordonnée avec les autorités judiciaires, en lien étroit avec le ministère de la Justice.
La prison conservera néanmoins son quartier d’évaluation de la radicalisation (QER), qui accueille notamment des figures comme Salah Abdeslam ou Rédoine Faïd. Mais à terme, seuls une douzaine de détenus « historiques » resteront dans ces ailes spécialisées, tandis que les deux nouveaux quartiers criminalité organisée devraient être opérationnels d’ici fin juillet.
Une réponse française à la montée du crime organisé
En filigrane, ce projet témoigne d’une évolution de la stratégie carcérale française face à la structuration croissante du crime organisé, qui tisse des liens avec le narcotrafic international, les gangs des cités, voire des mafias étrangères.
Avec ce centre, la France rejoint les pays ayant fait le choix de l’isolement renforcé pour casser les dynamiques de pouvoir en prison, à l’image de l’Espagne avec ses établissements anti-mafia, ou de l’Italie face à la ‘Ndrangheta.
Un symbole à surveiller de près
S’il suscite l’intérêt voire l’admiration dans les cercles de la sécurité intérieure, le projet soulève aussi des inquiétudes du côté des défenseurs des droits humains, qui pointent déjà un risque d’ultra-isolement et une absence de projet de réinsertion.
À Vendin-le-Vieil, la réponse est claire : « Il ne s’agit pas d’une prison punitive mais d’une prison préventive. Nous voulons casser les réseaux d’influence et protéger le personnel comme la société », affirme Marc Ginguené. Reste à voir si cette promesse résistera à l’épreuve du réel.