Entre prouesses techniques, engouement populaire et mémoire locale, l’histoire oubliée de l’aérodrome de Hem témoigne de la passion d’une époque pour la conquête du ciel. Lieu stratégique lors du circuit européen d’aviation, le site fut en activité jusqu’à la Grande Guerre.

Une ambition née d’un souffle moderne

Dans les années 1910, l’aviation n’est encore qu’un pari audacieux. Quelques années seulement après les premiers vols motorisés, l’Europe se passionne pour ces machines volantes et leurs pilotes intrépides. Dans le Nord de la France, cette effervescence trouve un écho particulier avec l’organisation de l’exposition internationale de Roubaix en 1911. L’événement, destiné à valoriser le dynamisme industriel régional, devient l’occasion de doter la commune de Hem d’un véritable champ d’aviation.

Dix hectares sont alors réquisitionnés entre l’actuelle avenue Gustave-Delory (anciennement avenue des Villas) et la ferme de Beaumont. Le terrain est aménagé à la hâte : six petits hangars, une grande tribune, des gradins installés à cheval entre Roubaix et Hem, et un hangar provisoire destiné à accueillir les grandes journées d’aviation.

« Le Nord devient pour quelques mois une véritable plaque tournante de l’aviation européenne. Le terrain de Hem incarne alors cette modernité naissante que l’on associe à l’audace technique et au progrès », souligne un historien local.

Le meeting du 4 juin 1911 : un baptême de l’air pour la foule

Le 4 juin 1911, Hem entre dans l’histoire de l’aviation française en accueillant son tout premier meeting aérien. Les aviateurs Beaud et Champel y effectuent des démonstrations devant près de 5 000 spectateurs. Les appareils, en bois et toile, volent à une cinquantaine de mètres d’altitude seulement, offrant un spectacle à couper le souffle pour l’époque.

Le lendemain, le spectacle se double de performances inédites. Une course-poursuite aérienne au-dessus de l’exposition est organisée, et deux records tombent dans l’euphorie générale : le premier, celui de la durée de vol, atteint 22 minutes, réalisé par Beaud. Le second, celui de l’altitude, voit Beaud et Champel s’élever à plus de 800 mètres.

« Nous avons vu le ciel de Hem comme jamais auparavant. Ces hommes volaient au-dessus de nos têtes, on aurait dit des oiseaux de toile », confiera un témoin cité dans un journal local de l’époque.

Un relais stratégique du circuit européen d’aviation

Quelques semaines plus tard, le terrain de Hem devient une escale stratégique du circuit européen d’aviation, course prestigieuse organisée par le quotidien Le Journal. Du 18 juin au 7 juillet 1911, quarante aviateurs se lancent dans un tour d’Europe aérien, au départ de Paris, via Liège, Spa, Utrecht, Bruxelles, Calais et Londres.

La cinquième étape relie Bruxelles à Roubaix, sur 90 kilomètres à vol d’oiseau. Les habitants du Nord, sensibilisés aux exploits des aviateurs depuis le meeting de juin, se mobilisent massivement. Le 28 juin à 11 h 10, Jules Védrines est le premier à survoler le site roubaisien, avant de se poser à Hem. Trois minutes plus tard, Roland Garros le rejoint.

« C’était plus qu’un spectacle, c’était un moment d’Histoire. On savait que l’on assistait à l’avènement d’un nouveau monde », témoignera un professeur de physique, chroniqueur scientifique amateur.

Les pilotes sont acclamés à leur arrivée et reçoivent des gerbes de fleurs. La foule, nombreuse, célèbre ces hommes qui défient la gravité à bord de machines encore fragiles.

Une compétition d’endurance aux allures de conquête

Le 29 juin, pour l’étape Roubaix-Calais, les usines de la région ferment exceptionnellement. L’intérêt populaire pour l’événement dépasse les clivages sociaux. Le champ d’aviation est bondé, les familles, les ouvriers, les commerçants sont au rendez-vous.

C’est finalement André Beaumont qui remporte le classement général du circuit européen, avec un temps cumulé de 58 heures et 35 secondes de vol effectif. L’exploit est salué dans toute la presse nationale. Beaumont devient une figure emblématique du progrès technique français.

« Ce n’est pas seulement la performance d’un homme, mais celle d’une nation qui regarde désormais vers le ciel », titre Le Journal dans son édition du lendemain.

Une mémoire aérienne en sommeil

Avec la déclaration de la Première Guerre mondiale en 1914, les activités civiles du terrain de Hem cessent brutalement. Le champ de vol de Beaumont est réquisitionné à des fins militaires, avant d’être progressivement abandonné. Aucun avion ne décollera plus jamais de ce site, englouti par l’urbanisation progressive et le développement de nouvelles infrastructures.

Aujourd’hui, rares sont les traces physiques de cet épisode historique. Seuls quelques noms de rues — comme celle de Jules Védrines — rappellent encore l’intense activité aérienne qui animait autrefois les cieux hémois.

Des associations locales, telles qu’Historihem, s’emploient à faire revivre cette mémoire oubliée à travers expositions, publications et conférences.

« Redonner vie à cette page méconnue de notre patrimoine, c’est aussi offrir aux jeunes générations une autre image de leur territoire, plus ambitieuse, plus audacieuse », défend un membre de l’association.

L’héritage d’un rêve

L’épisode aéronautique de Hem illustre une époque où tout semblait possible. Les meetings aériens de 1911, le passage de Garros et de Védrines, les records de Beaud et Champel, traduisent l’élan d’un monde qui découvre l’immensité du ciel.

Si l’aérodrome de Beaumont a disparu des cartes, son histoire, elle, réapparaît aujourd’hui dans les récits locaux et les archives redécouvertes. Une aventure brève mais fondatrice, à l’image de l’aviation elle-même, faite de risques, de passion et d’horizons ouverts.