Durablement touchés par les crues de l’hiver 2023-2024, les agriculteurs du Pas-de-Calais s’impliquent activement dans la reconstruction. À travers une série d’ateliers, ils exposent leurs propositions pour anticiper les crises à venir et défendre une agriculture plus durable, ancrée dans les territoires.

L’agriculture, secteur en première ligne face aux aléas climatiques
Les inondations de l’hiver 2023-2024 ont laissé des stigmates profonds dans les terres du Pas-de-Calais. Cultures noyées, pertes économiques colossales, parcelles inutilisables pendant des mois. Pour les exploitants agricoles, l’événement n’a pas été une simple catastrophe naturelle : il a été un point de bascule.
À travers des ateliers de concertation organisés notamment par la chambre d’agriculture, les agriculteurs sinistrés participent à l’élaboration d’un plan de résilience territoriale. L’idée est simple : capitaliser sur leur expérience directe du terrain pour identifier des pistes d’adaptation concrètes face aux mutations climatiques qui s’accélèrent.
« Les simulations d’un météorologue sur l’évolution du climat à 30 ans, avec un scénario à +4 °C, et 65 jours par an à plus de 45 °C, m’a noué le ventre. »
Jean-Michel Sauvage, agriculteur participant à un atelier à Arras
Des pratiques à réinterroger en profondeur
Au cœur des discussions : la nécessaire transition des pratiques agricoles. Dans un contexte où la mécanisation et l’intensification ont conduit à l’agrandissement des parcelles et à la suppression des éléments paysagers naturels, comme les haies ou les fascines, les conséquences sur l’écosystème se font aujourd’hui cruellement sentir.
Le constat est partagé par de nombreux intervenants : les sols, trop souvent appauvris, ne sont plus en mesure d’absorber l’eau excédentaire. Les inondations ne sont plus seulement des phénomènes exceptionnels, elles deviennent récurrentes.
« Les parcelles sont trop grandes, il y a trop de chimie, on appauvrit les sols alors que les sols riches en matières organiques retiennent l’eau. »
Jean-Michel Sauvage
La question de la gestion de l’eau, de sa rétention et de son infiltration naturelle, est au cœur des échanges. Pour nombre d’agriculteurs, il faut revoir entièrement les aménagements hydrauliques à l’échelle des bassins versants.
Hydrologie douce et retour du bocage
Parmi les solutions mises en avant, l’« hydrologie douce » suscite un large consensus. Il s’agit de ralentir le ruissellement des eaux de pluie en réintroduisant des éléments naturels dans le paysage agricole : haies, talus, mares, bandes enherbées. Une approche soutenue par des associations environnementales mais aussi des élus et des agriculteurs eux-mêmes.
Antoine Peenaert, exploitant aux Attaques, en a fait l’expérience. En combinant couvert végétal permanent, drainage raisonné et maintien des haies, il a pu limiter les dégâts sur ses parcelles, malgré les 400 mm d’eau tombés en quelques jours à l’automne 2023.
« Grâce au drainage du sol et au couvert végétal, j’ai été capable de stocker 150 mm, mais le reste s’est baladé en attendant d’être évacué à la mer. »
Antoine Peenaert, agriculteur dans le Calaisis
L’appel à l’État pour un soutien ciblé
Si les bonnes volontés ne manquent pas, les moyens, eux, font défaut. Replanter des haies, remettre en état des fossés ou installer des bandes tampons représentent un coût certain. Or, beaucoup d’exploitants, déjà fragilisés économiquement, ne peuvent supporter ces investissements seuls.
« Si on estime que les agriculteurs doivent ralentir et retenir l’eau, il faut les aider. »
Pierre Barrois, ex-agriculteur et maire de Handecourt-lès-Ransart
Une attente forte de financement public ressort donc des ateliers. Plusieurs participants plaident pour que la politique agricole nationale et européenne soutienne davantage les pratiques résilientes, au-delà des logiques productivistes.
Certains suggèrent également un retour progressif à des exploitations plus diversifiées et plus petites, moins vulnérables aux extrêmes climatiques.
La nécessité de curer les canaux
Autre revendication fréquemment exprimée : le curage des réseaux hydrauliques. Jugés obsolètes ou mal entretenus, de nombreux canaux ne jouent plus leur rôle de régulation. Dans certains secteurs, ils auraient même amplifié les inondations.
Antoine Peenaert insiste sur l’urgence d’une intervention structurelle :
« Notre proposition, c’est de curer en partant de la mer et ensuite faire de l’hydrologie douce. Dans deux à cinq ans, on va encore être noyés et on n’a toujours pas de solution. »
Un modèle agricole à réinventer ?
Derrière ces discussions, c’est le modèle agricole français qui se retrouve en question. La tension entre impératifs de production, contraintes économiques et adaptation écologique traverse tous les échanges.
Pour certains participants, la transformation devra être systémique. Mais ils savent aussi que les marges de manœuvre restent limitées sans un engagement fort de l’État, des collectivités, des filières agricoles et de la société dans son ensemble.
Les ateliers de résilience, s’ils permettent d’exprimer les besoins du terrain, devront désormais déboucher sur des mesures concrètes, structurantes et rapidement applicables. Le temps presse, et les prochaines crues pourraient bien survenir plus tôt qu’on ne le pense.
« On va droit dans le mur si rien ne change. »
Jean-Michel Sauvage
Alors que les conséquences du dérèglement climatique se font chaque année plus visibles, les agriculteurs du Pas-de-Calais, durement éprouvés, montrent une volonté réelle de s’adapter. Mais la résilience ne peut reposer sur leurs seules épaules. Elle implique une solidarité collective, une vision partagée et des choix politiques clairs.