Sa maison, scellée par les enquêteurs, est inaccessible. La trentenaire, hébergée temporairement chez son père, attend une solution de relogement durable, tout en affrontant une avalanche de démarches.

Une vie suspendue depuis le 14 mars
Le 14 mars dernier, en pleine journée, Laurianne a été poignardée à plusieurs reprises par son compagnon dans leur logement de Mazingarbe. Les coups ont été portés au visage, au cou, au crâne et à l’avant-bras. Malgré ses blessures, elle a réussi à fuir, se réfugiant chez des voisins qui ont alerté les secours. Son agresseur, déjà condamné pour violences conjugales, avait pourtant été réintégré dans le foyer à la suite d’une tentative de réconciliation.
Plongée dans le coma, Laurianne a été hospitalisée pendant une semaine. À sa sortie, le 21 mars, elle a découvert qu’elle ne pourrait pas rentrer chez elle.
« Je suis allée mieux, j’ai voulu retrouver mes affaires, mais la maison était scellée. Tout était bloqué », confie-t-elle.
Les lieux ont été placés sous scellés par les enquêteurs. Le logement est juridiquement considéré comme une scène de crime, ce qui interdit tout accès à la victime tant que l’instruction est en cours. Selon son avocat, les scellés pourraient rester en place pendant deux à trois ans.
Hébergée chez son père, sans solution stable
Depuis sa sortie de l’hôpital, Laurianne vit chez son père. Une solution provisoire qui pèse sur l’équilibre de toute la famille.
« Je ne peux pas rester indéfiniment chez mon père. Ce n’est pas une situation viable, ni pour lui, ni pour moi, ni pour mes enfants », explique-t-elle.
Mère de deux enfants, qu’elle tente de préserver de cette situation dramatique, Laurianne se trouve aujourd’hui dans un entre-deux. D’un côté, un logement inaccessible. De l’autre, une offre de relogement qu’elle n’a pas encore pu accepter, faute de garanties sur les aides au loyer.
Une prise en charge administrative lourde et confuse
Malgré la gravité de l’agression dont elle a été victime, Laurianne doit faire face à une multitude de démarches. Son avocat a tenté de solliciter la levée des scellés ou une autorisation temporaire d’accès au logement, sans succès. Les services de la justice sont intransigeants : le logement restera fermé tant que l’instruction est en cours.
« J’ai essayé d’appeler le tribunal pour parler à la juge d’instruction. On m’a dit qu’il fallait écrire un courrier. Rien n’avance », déplore Laurianne.
En parallèle, elle doit continuer à régler le loyer de son logement, bien que celui-ci soit partiellement couvert par des aides. Une absurdité administrative que dénoncent plusieurs associations d’aide aux victimes, qui alertent régulièrement sur l’absence de statut spécifique pour les victimes de violences dont le domicile devient une scène d’enquête.
Un logement facturé mais inutilisable
Légalement, la victime reste locataire de son logement, même lorsqu’il est scellé. Son bailleur social, tout en manifestant son soutien, est contraint de lui facturer un loyer, à moins qu’une procédure spécifique ne soit engagée pour demander une suspension. Une complexité supplémentaire pour une femme déjà fragilisée par le drame.
« Je n’ai pas l’énergie pour faire tout ça. Je dois penser à mes soins, à mes enfants… et on me demande de gérer des papiers, des courriers, des aides. Je suis dépassée », résume-t-elle.
Une première piste de relogement, encore incertaine
Mardi dernier, une proposition de relogement a été transmise à Laurianne. Il s’agirait d’un logement géré par un autre bailleur, dans une commune voisine. Cette offre, bien qu’encourageante, n’est pas encore finalisée. Laurianne hésite, notamment parce qu’elle ne peut pas se permettre de payer deux loyers. Là encore, une procédure d’exonération serait nécessaire.
« Ce n’est pas que je ne veux pas avancer. Mais chaque étape prend un temps fou, et je me sens seule pour tout gérer », confie-t-elle.
Une situation dénoncée par les associations
Les cas comme celui de Laurianne ne sont pas isolés. De nombreuses victimes de violences conjugales se retrouvent dans des situations similaires : exclues de leur propre logement pour les besoins de l’enquête, sans relogement immédiat, et avec des charges financières qui s’accumulent.
Le Collectif Féminicides par Compagnons ou Ex a interpellé à plusieurs reprises les pouvoirs publics sur ce vide juridique. Selon l’association, il est impératif de créer un dispositif d’urgence permettant un relogement immédiat des victimes dont le logement est rendu inaccessible à cause d’une enquête judiciaire.
« Ce sont des victimes qu’on prive de leur domicile, sans leur donner les moyens de rebondir. C’est une double peine », souligne une bénévole.
Vers une réforme nécessaire ?
Le ministère de la Justice a déjà été interpellé sur cette problématique. Mais jusqu’à présent, aucune mesure structurelle n’a été prise. Certaines collectivités locales commencent néanmoins à expérimenter des cellules de relogement rapide, en lien avec les bailleurs sociaux.
Dans le Pas-de-Calais, les services de la préfecture ont été informés du dossier de Laurianne. Une cellule d’accompagnement pourrait être activée. Mais pour l’heure, la jeune femme reste en attente, entre démarches administratives, soins médicaux et préoccupations quotidiennes.
Privée de son logement par une procédure judiciaire rigide, Laurianne illustre les lacunes du système français en matière de protection concrète des victimes de violences. Son histoire met en lumière une zone grise du droit, où la sécurité de la procédure prend le pas sur les besoins immédiats d’une survivante.