Le projet de durcissement de la justice des mineurs suscite une vague d’oppositions parmi les avocats, magistrats et éducateurs spécialisés.

La réforme portée par Gabriel Attal sur la justice des mineurs provoque de vives réactions dans les milieux judiciaires et éducatifs. À Lille, Me Anne-Caroline Chiche, coprésidente de la commission droit des mineurs du barreau, partage ses inquiétudes face à un texte qu’elle juge inadapté et irréaliste.
Une réforme perçue comme brutale
Parmi les mesures phares de la proposition de loi, la mise en place de la comparution immédiate pour les mineurs de plus de 15 ans est celle qui fait le plus débat. Me Anne-Caroline Chiche estime que cette procédure expéditive, déjà controversée pour les majeurs, serait particulièrement néfaste pour les jeunes.
« La comparution immédiate est extrêmement brutale, déjà pour les majeurs. Imaginez pour des mineurs qui pourraient être jugés en sortie de garde à vue, sans qu’on ait le temps de comprendre qui ils sont, pourquoi on les retrouve là. »
Selon elle, cette précipitation nuit à la compréhension du parcours et de la situation des mineurs, deux éléments pourtant essentiels dans la construction d’une réponse judiciaire adaptée.
Des effets d’annonce contestés
La promesse d’une justice plus rapide, censée mieux répondre aux attentes des victimes, est également remise en cause par les professionnels du droit. Me Chiche rappelle que des procédures rapides existent déjà dans le cadre du Code de la justice pénale des mineurs (CJPM), entré en vigueur en 2021.
« Non seulement il existe déjà la possibilité d’audience unique devant le tribunal pour enfants, mais en plus les victimes sont rarement en mesure de justifier de leur préjudice lors d’une comparution immédiate. »
La réforme apparaît donc, aux yeux de nombreux praticiens, davantage comme un levier de communication politique que comme une véritable réponse à la délinquance juvénile.
Un manque de moyens criant
Au-delà des questions de principe, c’est la faisabilité même de la réforme qui est interrogée. La Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) comme les tribunaux pour enfants souffrent d’un manque chronique de moyens humains et matériels.
« Mettre en place cette comparution immédiate me semble, en l’état, totalement irréalisable. Nous, au niveau du barreau, devrions créer de nouvelles permanences pour assister les mineurs et les victimes, ce qui générerait de nouveaux frais pour le contribuable. Faire croire qu’une mesure peut être appliquée sans financement supplémentaire, c’est mentir aux gens. »
Les professionnels rappellent que depuis plusieurs années, les moyens alloués à la justice des mineurs ne cessent de diminuer, affectant directement la qualité des prises en charge.
Vers une remise en cause de l’excuse de minorité
Autre mesure controversée du projet : la suppression possible de l’excuse de minorité pour les jeunes de 16 à 18 ans. Jusqu’à présent, ce principe fondamental impliquait une réduction des peines pour les mineurs, en raison de leur moindre maturité.
« Traiter des mineurs qui n’ont pas le droit de vote comme des majeurs, c’est nier leur développement. La justice des mineurs repose sur l’idée qu’un enfant qui commet une infraction est un enfant qui va mal, qu’il faut comprendre et aider autant que punir. »
Pour Me Chiche, cette remise en cause du principe éducatif constituerait une régression majeure en matière de protection de l’enfance.
Des parents responsabilisés financièrement
Le projet de loi prévoit également de pouvoir sanctionner financièrement les parents jugés défaillants. Une disposition que l’avocate considère contre-productive.
« Si le but recherché est une prise de conscience, ce n’est pas par une amende qu’on l’obtiendra. Les parents démissionnaires sont souvent eux-mêmes en difficulté, et les punir ne fait qu’aggraver leur isolement. »
Les professionnels de terrain insistent sur l’importance de reconstruire un lien avec ces familles, plutôt que de les stigmatiser davantage.
La délinquance des mineurs en perspective
Quant à la réalité d’une hausse de la délinquance des mineurs, les avis sont plus nuancés. Les chiffres du ministère de l’Intérieur montrent une légère augmentation des infractions commises par des mineurs, notamment en lien avec les réseaux sociaux, mais aucun « raz-de-marée » n’est constaté.
« J’exerce depuis une quinzaine d’années, et je ne peux pas dire qu’il y ait une explosion de la délinquance des mineurs. Ce qui est certain, en revanche, c’est que les moyens de commettre des infractions ont changé. »
Le développement des réseaux sociaux a facilité l’organisation de certains délits, comme les rixes entre bandes ou les vols en réunion, mais la justice parvient encore, avec les moyens existants, à agir efficacement sur les premiers signes de délinquance.
Un avenir incertain pour la justice des mineurs
Si la proposition de loi Attal est adoptée, elle risque de modifier en profondeur l’architecture de la justice des mineurs, en privilégiant une approche répressive au détriment de l’accompagnement éducatif. Beaucoup redoutent une perte de sens pour une justice historiquement tournée vers la réinsertion.
À l’heure où les besoins de soutien et d’accompagnement des jeunes en difficulté n’ont jamais été aussi importants, nombreux sont ceux qui appellent à une réflexion plus globale, associant réforme de la justice et renforcement des politiques éducatives et sociales.