Depuis décembre, la section lilloise de la Ligue des Droits de l’Homme assiste aux audiences de comparution immédiate. L’objectif : observer le respect des droits fondamentaux dans une procédure souvent critiquée pour sa rapidité. Si les premières constatations nuancent certains clichés, des inquiétudes demeurent quant à la place accordée à la défense et au traitement équitable des justiciables.

Une justice rapide mais sous surveillance
Dans une salle d’audience feutrée, à l’abri des regards, la justice s’exerce avec rigueur mais aussi avec célérité. Chaque après-midi au tribunal judiciaire de Lille, des prévenus comparaissent immédiatement après leur garde à vue pour des faits jugés simples à instruire. Depuis plusieurs mois, la section locale de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) assiste à ces audiences dans un but bien précis : évaluer la conformité de cette procédure avec les droits fondamentaux garantis par la Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme.
Cette démarche n’est pas nouvelle. Depuis plusieurs années, différentes antennes locales de la LDH ont entrepris cette veille citoyenne, comme à Paris, Marseille ou encore Toulouse, où un rapport avait été publié après dix années d’observation. À Lille, le dispositif est plus récent : il a été initié en décembre dernier et compte aujourd’hui une dizaine de volontaires, renforcés par une vague d’engagements après une semaine de sensibilisation organisée début février.
Une procédure encadrée mais critiquée
Le principe de la comparution immédiate repose sur une logique de réactivité : juger dans les jours suivant l’infraction afin de répondre rapidement à des délits flagrants. Cette réactivité peut cependant poser problème. Le court délai entre l’interpellation et l’audience limite le temps consacré à la défense, à la recherche de preuves, ou encore à la construction d’une stratégie juridique.
« C’est quand même une justice expéditive, notamment au niveau de l’enquête qui ne dure que quelques heures ou quelques jours »,
déplore Marc Delgrange, observateur pour la LDH Lille.
Les militants lillois notent cependant des différences notables entre ce qu’ils observent localement et les constats réalisés ailleurs. À Lille, les audiences semblent un peu moins précipitées. « Nos collègues de Seine-Saint-Denis évoquent des dossiers traités en seulement 15 minutes, ce n’est pas le cas ici », nuance Aline Freminet, responsable du suivi de l’opération à Lille.
Des garanties judiciaires en apparence respectées
Jusqu’à présent, les observateurs n’ont pas relevé de violations flagrantes des droits fondamentaux. Selon les premières constatations, la notification des droits semble bien assurée, et la présence d’un avocat est généralement garantie.
« Il semble aussi que les droits des prévenus leur soient correctement notifiés »,
constate Marc Delgrange.
Cependant, au-delà de la stricte application du droit, d’autres questions demeurent. Quelle place est réellement accordée à la parole des prévenus ? Celle des victimes ? Les audiences permettent-elles un débat équitable ou sont-elles simplement une étape administrative vers une peine déjà prédéterminée ?
Un regard citoyen sur le fonctionnement de la justice
Pour la LDH, cette démarche s’inscrit dans un double objectif : documenter la procédure de comparution immédiate, et inciter le grand public à s’intéresser au fonctionnement de la justice. « L’idée, c’est aussi d’inciter les gens à franchir les portes du tribunal », explique Aline Freminet.
Depuis leur appel à participation lancé lors de la représentation de la pièce Léviathan, au Théâtre du Nord, dix-neuf personnes ont manifesté leur volonté de se joindre à l’équipe d’observateurs. Cette mobilisation montre un intérêt croissant de la société civile pour les pratiques judiciaires, souvent peu connues en dehors du cercle des professionnels du droit.
Un plaidoyer à venir, sans ambition statistique
Contrairement à d’autres sections qui ont produit des rapports d’envergure, la LDH Lille ne prévoit pas d’étude à visée statistique. Le projet est plus modeste : produire un communiqué rendant compte des observations recueillies sur plusieurs mois, en vue d’un plaidoyer public.
« Il s’agira plutôt de sortir un communiqué par rapport à nos observations, avec la volonté de faire un plaidoyer pour dénoncer la procédure de comparution immédiate en redisant qu’il y a pour nous une atteinte aux droits de la défense »,
affirme Aline Freminet.
Des débats juridiques anciens, des enjeux contemporains
La comparution immédiate, instaurée dans sa forme actuelle en 1983, n’a cessé d’alimenter le débat judiciaire. Ses défenseurs soulignent l’efficacité de la procédure, sa rapidité et la réponse immédiate qu’elle permet d’apporter aux infractions. Ses détracteurs, eux, dénoncent une forme de justice d’exception, dérogatoire aux principes fondamentaux de la procédure pénale.
En 2021, le Défenseur des droits alertait sur les dérives possibles de cette procédure, en rappelant que la rapidité ne devait jamais se faire au détriment des garanties essentielles du procès équitable. Les observateurs de la LDH s’inscrivent dans cette ligne : non pas contester l’existence même des comparutions immédiates, mais interroger leurs conditions de mise en œuvre.
Une justice à visage humain ?
Alors que les audiences se succèdent quotidiennement, les observateurs lillois poursuivent leur travail avec discrétion mais détermination. Leur présence, silencieuse, rappelle que derrière chaque dossier se trouve une personne, parfois fragile, souvent précipitée dans une mécanique judiciaire difficile à appréhender.
Au fil des semaines, leur observation pourrait nourrir un débat plus large sur l’équilibre entre efficacité judiciaire et respect des droits. Car si la justice se veut impartiale et équitable, elle doit aussi, aux yeux de la LDH, être compréhensible, accessible et humaine.